Interview de Mark Papermaster, AMD CTO: SoC? x86?

Tags : AMD; Computex 2012;
Publié le 12/07/2012 par
Imprimer

Début juin, durant le Computex, nous avons eu l'opportunité de nous entretenir avec Mark Papermaster, qui, fin 2011, a pris la position de Chief Technology Officer chez AMD. Après une longue carrière chez IBM suivie de passages plus brefs chez Cisco et Apple, Mark Papermaster s'attèle dorénavant à remodeler l'ensemble des méthodes et des stratégies de développement d'AMD de manière à remettre la société sur des rails plus compétitifs.

Mark Papermaster ne s'occupe pas directement des détails liés aux architectures GPU et CPU, bien qu'il s'assure que tous les développements correspondent à la stratégie globale d'AMD. Sa tâche principale est de transformer les méthodes de développement actuelles d'AMD vers une approche SoC (System on a Chip) pour plus de modularité et de flexibilité. De quoi permettre à AMD d'une part de dériver ses produits grand public à moindre coût et avec plus de réactivité, et d'autre part de pouvoir attaquer des marchés plus spécifiques en ayant la possibilité de répondre à des demandes de personnalisation très précises que peuvent formuler certains clients.


Nous avons ainsi interrogé Mark Papermaster sur cette évolution et ses implications, sans oublier certains sujets tels que l'exploitation éventuelle d'un jeu d'instructions autre que le x86. Voici la retranscription de cette discussion, dans laquelle Chris Hook, responsable de la communication corporate d'AMD, intervient également :


Quelle est selon vous la meilleure arme d'AMD ? La propriété intellectuelle (IP) la plus intéressante pour ces futurs SoC ?

Mark Papermaster: L'APU, sans surprise, vous l'avez vu aujourd'hui avec le déploiement de Trinity. Nous allons continuer à nous focaliser très intensément sur chaque génération d'APU en améliorant notre GPU, autant la partie graphique que compute, nos capacités multimédias et avec tout cela les capacités de notre CPU. Ensuite, avec l'approche SoC que nous mettons en place, nous rendons plus facile l'intégration d'autres éléments. Ils pourraient provenir d'un tiers ou pourraient être développés en interne. Vous pouvez imaginer un bloc d'IP spécialisé autour duquel nos capacités vont croître, mais le reste du cœur, la fondation, c'est l'APU. L'APU est une différenciation, à chaque génération nous allons augmenter sensiblement ses capacités de façon telle que nous disposions d'une solution qui se distingue.

L'avis que j'ai à vous donner au sujet de la migration vers le SoC, c'est que si nous ne faisions que cela, ce ne serait pas suffisant. Si nous comptions uniquement sur le CPU et le GPU nous manquerions la souplesse dont nous avons besoin pour nous donner la force de réagir sur le marché à l'avenir. La fondation est l'APU et ensuite nous la faisons évoluer avec des capacités supplémentaires que nous apportons grâce à notre méthodologie SoC.


Quels ont été ou quels sont les défis principaux à relever pour transiter complètement vers une méthodologie de développement de type SoC ?

MP: Il s'agit d'une méthodologie différente, car pour concevoir de véritables SoC vous devez prendre votre IP et en modifier la conception de telle sorte qu'elle puisse être très facilement connectée avec d'autres IP. Donc, ce n'est pas seulement le CPU et le GPU, c'est tout le multimédia, c'est la fonction mémoire… pour lesquels il faut architecturer une manière standardisée de s'interconnecter. Nous avons donc revu la direction dans laquelle nous allons et vous me demandez : "Mark où est la difficulté ?" Le défi est en fait juste de veiller à ce que vous soyez très attentif sur la façon dont vous l'implémentez.

Ainsi, dans le cas présent nous décidons de changer la façon dont nous concevons nos produits, les protocoles à travers lesquels nous allons connecter le tout. Si je devais faire tout cela directement pour l'année prochaine il pourrait y avoir une interruption dans notre calendrier de développement, ce que nous ne voulons pas. Nos clients attendent, vous le savez, nos produits à chaque cycle commercial, et nous ne pouvons pas prendre ce risque. Nous allons le faire d'une manière réfléchie en termes d'orgnisation et de planification de cette implémentation. Au départ, cela implique que nous faisions, entre autres, certaines choses pour améliorer notre productivité de développement ainsi que notre flexibilité, mais disons que cette évolution dans la conception des SoC (APU actuels) sera implémentée sur 2 à 3 ans.

Il y a une façon différente de développer les IP de manière à standardiser leur interconnexion. Les entrailles des IP ne changent pas. La plus-value que nous obtenons dans la façon dont nous concevons nos familles de cœurs CPU et dont nous les faisons évoluer, nos moteurs graphiques… ne change pas. Toute cette roadmap continue. C'est au niveau des protocoles, comment tout cela s'interconnecte et comment vous avez architecturé le tout qui vous donne la souplesse nécessaire pour les assembler dans des combinaisons différentes, d'une manière très agile et d'une manière beaucoup plus efficace.


Quel est l'intérêt principal de cette approche ? Arriver plus rapidement sur le marché avec des produits dérivés ?

MP: Ce n'est pas qu'une question d'arriver plus rapidement sur le marché. C'est la flexibilité dans la manière dont les propriétés intellectuelles sont mises en place. Vous savez, aujourd'hui, si je veux des combinaisons différentes d'IP, chacune représente un effort important de personnalisation. Imaginons que je prenne un APU et que je veuille une combinaison différente de CPU, de GPU ... je pourrais également avoir un bloc d'IP de tierce partie que je veux ajouter… plusieurs de ces blocs d'IP... Aujourd'hui, dans notre méthodologie cela représente un effort important de personnalisation. Nous avons fait des travaux de cette nature pour des applications embarquées, nous avons mis des centaines d'ingénieurs sur ces développements !

Là où nous allons avec une approche SoC plus souple, nous pouvons faire ce genre de choses. Il ne s'agit pas seulement de l'efficacité, c'est en fait ce qui nous permet de faire ces choses. Nous pourrions avoir des partenaires qui ont besoin d'un produit différencié et ils pourraient avoir besoin d'un accélérateur unique ou d'une combinaison unique d'IP. Avant, pour ce type de contrat, il aurait fallu un investissement de plusieurs centaines d'ingénieurs. Maintenant, avec une petite équipe, nous pouvons travailler et faire des partenariats rapprochés avec ces clients. En réalité cette approche multiplie nos opportunités.


Ces produits modifiés doivent ensuite être fabriqués et testés, cela prend du temps également. N'est-ce pas un facteur limitant ?

MP: Bien entendu, pour chaque design modifié. Un cycle de fonderie est généralement de 3 mois. C'est le cycle de fabrication. Imaginez que Sony ait une télévision, une télévision intelligente, ils viennent et nous disent: "Nous aimons les produits AMD, nous avons une opportunité pour un large volume, nous aimons ce que vous avez sur ce SoC standard, mais nous avons certaines exigences uniques". C'est une conception dérivée. Aujourd'hui cette conception dérivée demanderait de très nombreux ingénieurs. Avec cette approche plus modulaire, oui vous avez toujours un cycle de fonderie unique, mais la phase de conception est très courte. Vous avez cette phase de conception très courte, et alors oui vous avez ensuite à fabriquer, puis à tester.


En avez-vous déjà profité pour vos produits actuels ?

MP: Llano 2 (Llano dualcore) est un design dérivé. Nous avons donc très rapidement, à partir de Llano, changé le contenu, car comme vous le savez, il a été optimisé pour un marché différent. Nous avons changé le nombre de cœurs CPU, GPU, et parce que nous n'étions pas entièrement modulaires à ce moment-là, le cycle de conception a été de quelques mois. C'est plus court qu'un nouvel APU, et, vous savez, nous avons réellement profité de la modularité et nous avons gagné du temps. Mais avec l'approche que j'ai décrite nous allons raccourcir encore plus le temps de conception. Llano à Llano 2 est cependant un excellent exemple de la modularité. Nous l'avons fait avec beaucoup moins de ressources alors imaginez si nous faisons encore un pas important en avant. C'est ce que nous sommes en train de faire.

Chris Hook: Le budget pour la concrétisation de Llano 2 était bien plus petit.

MP: Un infime partie.

CH: Ce que certaines personnes ne comprennent pas c'est qu'il ne s'agit pas de 5 ou 10%, vous ne faites pas simplement de petites économies, vous économisez énormément.

MP: C'est un changement énorme, très important. Nos clients le comprennent.


Y a-t-il en ce moment un projet concret de personnalisation pour un client dont vous pouvez nous parler ?

MP: Ce qui se passe quand vous tirez vraiment parti de cette modularité pour un partenariat rapproché avec quelqu'un, c'est que vous n'en entendrez pas parler, parce que ce ne sera pas le composant en silicium qui sera commercialisé et mis en avant, mais les capacités du produit final. La différence pourrait être une augmentation des performances ou une autre caractéristique du produit, cela se fait en partenariat avec ce client. Donc la question que vous aviez est "Annonçons-nous de nouveaux produits cette fois?" Non.

Nous sommes clairs sur cette direction, nous avons beaucoup d'intérêt des clients, beaucoup d'activités en cours, mais aucune qui atteint un point où le client va la mettre en avant et la rendre publique. Donc ce n'est pas quelque chose que nous pouvons partager. Mais je peux vous dire que nous recevons beaucoup d'intérêt pour cette approche.


Cette approche entraîne-t-elle un compromis, par exemple au niveau de l'optimisation avancée des designs qui permet de gagner les quelques derniers MHz ou points de performances ?

MP: Potentiellement ... mais je ne crois pas que ce soit le cas, car c'est plus efficace si nous arrivons à commercialiser les produits plus rapidement. Vous avez donc raison, il y a quelques pourcents d'optimisation et de personnalisation que vous allez peut-être abandonner avec une approche modulaire. Mais quand on peut commercialiser plus rapidement, franchement, chaque mois gagné sur l'arrivée sur le marché est égal à des performances. Donc au final, je ne crois pas que nous sacrifions quoi que ce soit.

CH: Nous pouvons également prendre plus de risques. Nous pouvons avoir une roadmap plus agressive. Parce que nous avons la possibilité de nous retourner sur des composants de la génération précédente en cas de problème, nous pouvons planifier plus agressivement l'arrivée de composants nouveaux.

Dans le cas où un core CPU prends une année de retard, vous pourriez ainsi baser un design sur l'ancien core tout en profitant d'un nouveau GPU ?

MP: Vous pouvez faire cela, mais je n'ai pas l'intention d'avoir un jour un de mes cores CPU en retard d'un an! Mais oui vous pouvez faire cela.

Nous avons vu ce genre de retard chez AMD par le passé…

MP: Nous gérons maintenant nos blocs d'IP clés avec un calendrier très serré de telle sorte que c'est très peu probable, mais vous pourriez avoir un petit bloc, un bloc spécialisé qui apporte certaines nouvelles capacités... Ce n'est pas comme un CPU ou un GPU, c'est plus petit. Il pourrait être en retard et vous reprenez la version précédente ou c'est peut-être un sous-ensemble d'un bloc multimédia ou audio, vous savez, quelque chose comme ça. Vous avez raison, nous aurons cette flexibilité.


Il y a pas mal de discussions autour du x86 et du futur d'AMD. D'un côté abandonner le x86 peut être vu comme abandonner une rente, mais d'un autre côté se limiter au x86 pourrait empêcher AMD de toucher de nouveaux marchés. Quel est votre point de vue à ce sujet ?

MP: Mon point de vue est que le x86 est évidemment une architecture au succès phénoménal et le restera, vous savez, aussi loin que le regard peut porter. Nous allons donc poursuivre l'ensemble de nos investissements dans le x86. Mais ce que je vais aussi vous dire, c'est que nous sommes un AMD différent, nous sommes un AMD qui va être capable de réagir très rapidement. Et donc, la méthodologie SoC que je vous ai décrite est très souple, de telle sorte que si un client nous dit "J'aime tout ce que vous faites, j'aime le x86, mais j'ai une application unique ici qui en raison de certains écosystèmes ou d'une exigence logicielle a besoin d'un jeu d'instructions (ISA) différent", nous pourrions les aider.

En d'autres termes, nous investissons massivement dans le x86, c'est l'un des joyaux parmi nos IP, tout comme notre GPU et notre technologie graphique, mais l'approche souple que j'ai décrite pour le futur fera en sorte que nous ne laisserons aucun marché derrière, y compris s'il nécessite un jeu d'instructions différent. S'il s'agissait d'une forte demande des clients, nous y répondrions.


AMD a-t-il le droit d'entrer sur le marché des SoC ultra basse consommation, destinés par exemple aux smartphones, ou existe-t-il certaines limitations de concurrence liées au rachat de votre division Imageon par Qualcomm ?

MP: Nous ne sommes limités sur aucun marché par quiconque. Je veux dire que nous pouvons attaquer le marché là où nous voyons des opportunités, la totalité du marché.

 

 

La version originale de cette entrevue est disponible sur BeHardware .

Vos réactions

Top articles